Qu’est-ce que le l’esthétique ? Je n’ai, dans cet article, pas l’ambition de trouver une définition raisonnable,pour cela je vous invite à vous plonger du côté de Hegel, Rancière, Rousseau, Diderot ou même Kant sur la faculté de juger esthétique. Mais pourtant, dans le métier de designer, l’esthétique a un rôle à jouer. Pendant mes études aux Arts Décoratifs (le nom de l’école reflète à lui-même le vaste sujet abordé par l’esthétique & le design), j’ai appris la peinture, le dessin, la perspective et bien d’autres outils sur la recherche de la forme juste, de l’équilibre aussi parfois. Puis, ensuite, cela s’est traduit par la gestion du blanc, du silence dans une page ou une affiche, par le rythme visuel dans la création numérique, les exemples sont nombreux etc. Petit à petit j’ai compris aussi qu’un travail uniquement esthétique ne serait pas suffisant pour moi (et surtout pas rassurant) et qu’il fallait que j’engage mon travail vers un travail basé sur un fond, un sujet, et la façon dont traiter ce sujet. De là, par magie, j’ai cru que si je choisissais le bon processus technique de création, la bonne méthodologie de conception, la forme naîtrait par elle-même, elle serait devenue une évidence. Cela n’a évidemment jamais été aussi simple que ça ;-)

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La réponse que j’ai trouvé à cet enjeu du design se trouve dans un équilibre entre : la mise en avant des choix et solutions (interactives, techniques, graphiques, etc.) – ces choix étant basés sur un travail d’observation et de connaissance des utilisateurs / usagers / humains – et l’utilisation des éléments historiques, culturels, contemporains aussi parfois, du sujet sur lequel je travail. Par exemple, sur le travail d’une identité visuelle, qui pourrait être un travail uniquement basé sur la forme, je recherche d’abord l’univers visuel des gens qui seront touchés par cette identité visuelle, je cherche leur paysage visuel (qualitatif comme souvent très pauvre voir terriblement désastreux), j’essaye de me plonger dans leur culture, dans leurs habitudes, leurs attentes, etc. puis, je contrebalance cela avec l’histoire de la marque, sa technique, son passé, ce qu’elle projette de faire, l’imaginaire qu’elle souhaite développer, l’origine de son nom, etc. L’étape d’après étant la plus difficile : faire la synthèse de tout cela, grâce au design.

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J’applique cela également avec le travail de design numérique également, ou toutes les autres formes de design que j’entreprends aujourd’hui, jusqu’à mon tout récent projet Refugeye par exemple. Je ne connais pas forcément les méthodes de mes camarades designers (vous me direz cela dans les commentaires) mais j’imagine peut-être que cela se rapproche un peu de mon processus. Tout cela pour vous dire que c’est une façon que j’ai de traiter la question esthétique du design, puisque aujourd’hui c’est encore sur cet aspect que le design est observé, avec un œil souvent naïf, esthétique et sur son côté élitiste.

Pour enrichir cette réflexion, je vous invite à écouter le passionnant Pierre-Damien Huyghe (professeur à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne. Ses recherches portent sur la philosophie et l’esthétique, notamment les conditions d’ouverture des conduites artistiques à la technique et à l’industrie.) dont je lis actuellement l’ouvrage intitulé « À quoi tient le design ». Au travers de cet échange filmé par LePetitBanc, on se retrouve avec de la matière à penser.

Vers une définition de l’esthétique

Une révélation particulière

J’en profite également pour vous dire que cette réflexion est ouverte, mes processus de conception évoluant aussi au fil des projets. Je ne manquerai pas de poursuivre cette réflexion et vous en faire part. De votre côté, je serais curieux de connaître aussi votre approche face à la question esthétique dans le design. Certains choisissent une couleur parce qu’ils l’aiment, d’autres la choisiront parce qu’elle est cohérente avec le sujet qu’ils abordent. Certains feront un logo en lettering parce qu’ils ont un coup de main et une élégance stylistique naturelle, d’autres iront piocher dans l’histoire du sujet à formaliser sous forme de logo pour trouver la typographie qui date de la même époque ou qui fait référence à telle ou telle culture. Vaste sujet.

 




4 commentaires

  1. Bonsoir, J’ai beaucoup aimé ton article car il est très interessant et j’avoue que j’étais curieux de voir ce que t’allais dire sur la notion d’Estèthique! Moi ma vision de l’esthètique est assez différente car je pense que dans l’art rien n’est moche même le moche est beau et il est bien plus intéressant que le bien fais. C’est cette univers de Gaucherie que j’aime beaucoup, du non-fini à la Picasso et Jean-Michel Basquiat!

    Si tu veux tu peux voir un peux mon point de vue à travers mes vidéos: http://youtu.be/OJ3K11eCdhA!

    Merci beaucoup, et encore bravo pour cet article intéressant.

  2. Comme une majorité de personne j’ai grandi avec l’idée que l’esthétique était bien plus important que le propos, au fil de mon intérêt pour le domaine du graphisme, mon avis a changé. Comme toi je pense sincèrement que l’esthétique se révèle par le design, le propos, le message et les valeurs qu’on souhaite véhiculer. Une forme choisie purement pour sa beauté n’a maintenant à mes yeux plus autant d’importance que la forme choisie pour transmettre une émotion, une idée ou valeur. Il en va de même pour tout éléments graphiques. Au fil des différents exercices que j’ai la chance de faire au sein de ma formation, j’admets qu’il m’est très difficile de partir des aspects humains et réels pour ensuite en faire une traduction visuelle. Une de nos prof arrêtait pas de nous dire qu’on était des traducteurs graphiques, et j’aime cette idée car elle implique de partir du sens pour trouver la forme et non pas de donner un sens à un forme. Du coup je m’intéresse d’abord à la personne qui va voir ce travail d’identité visuelle, et c’est en comprenant mon public que j’arrive à des travaux qui font sens et qui ne perd leur esthétique pour autant. Une fois le public compris, je cherche tout ce qui caractérise la personne qui fait la demande pour ainsi trouver ce point de fusion entre le public et le demandeur (j’aime pas ce terme), comment vais-je lié ces deux entités d’un point graphique pour que chacun s’y retrouve. Pour la typo je cherche le sens qu’a voulu donner le typographe lors de sa conception (comme un article sur le DIN que t’avais fait), la forme de la typo est forcément le second point d’intérêt mais je veux d’abord connaître son histoire pour qu’elle s’accorde à la forme graphique que j’aurais crée. Encore beaucoup de mal quant aux couleurs en revanche, pour le coup mon approche est plus sensible, plus personnel. Dans toutes mes recherches la sémiologie prend une place importante depuis que je l’ai découverte, du coup je suis curieux de savoir si t’en sers aussi.

  3. Merci pour cet article.

    Pour ma part, étant toujours étudiant, ma notion de l’esthétisme est encore en construction. Il est clair que la forme découle de la fonction (je suis designer produit), mais il m’arrive aussi beaucoup de trouver des fonctions qui découlent d’une forme. L’un ne va pas sans l’autre, alors pourquoi ne pas faire des aller-retours?
    De plus, à une époque où nous sommes bombardés d’images, de codes visuels, graphiques, formels, je me rends compte qu’il est de plus en plus difficile de faire la part des choses. Autant pour moi que pour les non initiés. Car oui, après maintenant 7 années d’études dans les arts appliqués, je me sens comme « initié » aux langages esthétiques, aussi divers soient-ils (c’est aussi pour ça que j’en apprends tous les jours).
    Alors, même si j’ai appris ce qu’est la sémiologie, la sémantique, les histoires de signifié et de signifiant, ce qui est le plus dur parfois lorsque l’on travaille pour un client (j’ai la chance d’y être confronté assez souvent), c’est de se rendre compte que les gens sont perdus au milieu de tous ces signes. Un univers visuel très « second degré » peut être mal compris, mal saisi et pris au premier degré.
    Je me fais souvent la réflexion, en me disant « mince, mais on n’a pas la même vision des choses sur cet objet, sur cette référence, etc… Est-ce moi qui cherche à analyser trop en profondeur ce que je vois? Ou bien celui qui a créé cet objet/ce logo/ces formes n’est pas allé aussi loin? A-t-on affaire à quelqu’un qui a réfléchi tous ces codes, ou au contraire, est-ce du premier degré du début à la fin? »
    Bien entendu, c’est un peu tiré par les cheveux, mais ça rejoint beaucoup de choses comme les informations, la science, la politique. Il faut faire preuve d’un peu de discernement mais les sens (nos 5 sens) et notre culture jouent beaucoup. Bref, encore une fois, le design est une discipline qui, je pense, devrait être mieux comprise alors qu’elle cherche à se faire oublier par son utilisateur final.
    Le débat entre fond et forme est le fondement même de nos professions de designers, et il s’adapte aux époques. Ce type de discussion basé sur l’esthétisme, j’en ai une au moins toutes les semaines avec des ingénieurs ou d’autres designers, mais aussi avec des « non-initiés ».
    L’esthétisme, c’est beaucoup de bon sens, de culture, mais c’est aussi de l’expressivité et donc de singularité. D’autres appellent ça « avoir du goût », mais là aussi l’expression semble galvaudée aujourd’hui…


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