Je vous publie de temps en temps des mémoires d’étudiant(e)s qui méritent d’être lu, autant parce qu’ils abordent des questions importantes à mes yeux mais aussi parce qu’ils sont une archive indispensable de la pensée et du travail sur nos métiers de designer. J’ai eu le plaisir de recevoir ce matin un e-mail de Juliette Mothe qui est étudiante et qui, au travers de son mémoire, a souhaité aborder la place du designer aujourd’hui. Sujet passionnant, car aujourd’hui le designer est un acteur indispensable à la société, aux entreprises, aux ONG mais aussi aux plus démunis, aux citoyens, ceux qui ont réellement besoin de design.

J’ai profité de cette échange avec Juliette pour lui poser quelques questions.

Bonjour Juliette, peux-tu te présenter pour nos lecteurs ? Dans quelle école étudies-tu ?

Bonjour Geoffrey ! Je suis une jeune diplômée de 26 ans, designer graphique à Bordeaux. J’ai une double spécialité en Communication et en Design via une licence à Bordeaux III, dans un premier temps, puis un parcours de 5 ans à l’École Supérieure des Technologies Électronique, Informatique et Infographie. C’est dans le cadre de ma dernière année d’étude à l’Estei que j’ai entrepris la rédaction de « La place du Designer ».

Comment et pourquoi as-tu choisi sujet de mémoire ? 

C’était, pour moi, une forme d’introspection. Quand il a fallu choisir une thématique, je me suis rendue compte que ce mémoire consacrerait officiellement la fin de mon master et donc l’entrée dans un corps de métier dont, à ma grande surprise, je peinais un peu à définir les contours. Entre cet éternelle image du “faiseur de beau” engagé dans un métier passion et le mouvement de 2013 contre le travail gratuit, je sentais un bouillonnement inédit sur la question du design en France. Mais aussi un vrai décalage social qui brouillait les pistes sur la valeur et la signification du design (donc par extension du designer !). En tant que designer, j’avais donc besoin de réponses.

Peux-tu nous décrire un peu quelle est ta démarche sur ce mémoire ? Quelles ont été les étapes ?

Ma démarche a été bien moins linéaire que je ne l’avais planifié, à vrai dire. Une fois que j’ai posé le cadre, il a fallu défricher le terrain et accumuler les sources dans l’optique de déboucher sur un plan de rédaction. Dans les faits, la construction du mémoire s’est plutôt traduite par un va-et-vient continu entre recherche et rédaction. D’une part parce que je tentais d’accéder à un corpus parfois très confidentiel et de l’autre parce qu’il me fallait veiller à recadrer en permanence ce vaste sujet, pour garantir progression et lisibilité des idées. J’ai également démarré une série d’entretiens avec des designers pour laisser le champ à d’autres voix, d’autres angles que les miens. Mais je n’ai pas eu l’opportunité d’en faire usage dans cette première mouture. Un regret qu’il serait intéressant de transmuter en contenu !

Être designer c’est très large, il y a des centaines de professions, comment peux-tu parler de « la » place du design ? 

Effectivement, les facettes du design (et donc des designers) sont multiples. Les réalités économiques et structurelles contredisent même cette approche un peu lisse. Un designer graphique nantais en freelance aura souvent bien peu en commun avec un designer industriel salarié à Paris. Et même en termes de représentation culturelle, considérer le design comme un monolithe se fait souvent au détriment de l’exhaustivité : sur-représentation du design d’objet dans l’imaginaire collectif, prévalence du design d’auteurs sur le design “du quotidien” en exposition, les aspects les plus flatteurs du design en deviennent les hérauts.

Pourtant, il y a une volonté de rassemblement du design, portée par l’Alliance Française des Designers (entre autres) qui n’est pas dénuée de sens. Parce que fondamentalement la conception est au centre de l’activité de tous les designers. À l’instar des ingénieurs, qui occupent une variété de postes, avec en ligne de mire la résolution de problème; le designer conçoit. Un principe qui est au coeur du terme et des pratiques anglo-saxonnes mais qui a du mal à faire son chemin dans la société française, à priori. C’est donc intéressant de se questionner en tant que professionnel du design sur “la” place qu’occupe cette activité en France.

Bien sûr le sujet est bien plus complexe que ça, puisque malgré tout, j’ai dû principalement me concentrer sur le design graphique pour pouvoir l’approcher.

Pour toi, comment un designer peut-il trouver son rôle, sa place, son utilité sociale ?

La réponse que je formule est sans doute plus personnelle que je ne l’imagine mais je dirais que pour trouver sa place, c’est important de se l’approprier pleinement. Le designer est souvent sous le coup de forces de définitions externes, du monde de l’entreprise en passant par les institutions gouvernementales et culturelles. Pour l’un ce sera, simplement un relais de croissance, pour l’autre exclusivement un esthète; puis, enfin, au quotidien, on nous renvoie souvent cette image de technicien du beau, du joli. Il y a donc selon moi une nécessité de reprise de pouvoir (même à titre personnel) pour être agissant, pour sortir d’une posture spectatorielle vis-à-vis de la définition de notre utilité sociale, justement. Mon hypothèse, en tant qu’étudiante, c’est que cette démarche passe par la connaissance, connaissance du champ du design et connaissance individuelle de son “soi designer”. La formation des designers serait ici au centre de cette entreprise pour sortir le design de son empirisme et réintroduire une méta-réflexion du design sur lui-même.

Quels sont les grand apprentissages que tu retiens de ton mémoire ?

D’abord que c’est un exercice aussi passionnant, qu’épouvantable ! Ensuite, ce mémoire a été l’occasion de me sentir partie prenante d’une profession qui n’est pas si corporatiste que ça. Bien sûr, nous avons tous des amis et des collègues designers mais la sensation d’un “destin” de designers communs est beaucoup plus dilué dans nos interactions quotidiennes que ce que j’ai pu toucher du doigt en écrivant et en recherchant sur notre histoire, nos combats, nos ambitions. Je suis entrée dans cette démarche avec beaucoup de questions sur ma propre place, mon propre horizon en tant que designer et si je n’ai certainement pas formulé LA réponse, les éléments qui ont surgi de cette quête m’ont vraiment apportés en compréhension et en apaisement sur la question.

As-tu un conseil à donner aux générations de designers en devenir ?

Je ne sais pas si j’ai la légitimité nécessaire pour un conseil, étant moi-même une très jeune designer. Quoi qu’il en soit, je leur dirais de ne pas se laisser enfermer dans une image partielle et construite par d’autres pour eux, de ne pas hésiter à faire entendre leur voix et à construire leur place.

Un immense merci Juliette et encore bravo pour ce travail 🙂

La place  du designer par Juliette Mothe

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2 commentaires

  1. Merci Geoffrey et merci Juliette pour partager ce sujet de la place du designer qui en effet nous passionne tous. La conclusion si elle en est de construire son propre chemin est un constat souvent réalisé une fois « les pieds dans le plat » si j’ose dire, et il est facile d’oublier que les ‘autres’ designers ont aussi leur défrichage à effectuer vers une reconnaissance stable. Pour avoir vu évoluer des designers de toute sorte il n’y a pas deux chemins semblables, et c’est ce qui fait notre richesse et notre complexité à la fois. En tout cas merci d’avoir engagé ces réflexions, je suis persuadée qu’il y a matière à écrire plusieurs tomes sur le sujet 😉

    1. Merci Julie pour ce commentaire, en effet les chemins sont singuliers et parfois se recoupent, c’est aussi ce qui fait la richesse du design je trouve. Pour nourrir ces chemins il faut se questionner sans cesse, c’est aussi pour ça que j’ai ce blog et c’est aussi pour ça que j’ai publié le mémoire de Juliette, un énorme boulot.

      Au plaisir d’écrire ensemble les prochains tomes 😉


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