Hier, j’ai reçu un looong e-mail de Baptiste qui se questionne sur le design, le graphisme, la logique marchande et ce qu’il appelle la « belle création ». Je voulais répondre brièvement puis je me suis dit que ça aurait été intéressant de partager tout ceci avec vous 🙂 Je vous fais donc part d’un petit bout de ses questions (avec son accord) et de ma réponse.

Baptiste m’écrit :

« Monsieur Dorne, Geoffrey,

Ce qui suit, n’est pas un argumentaire, plutôt un ressenti que j’ai tenté d’exprimer. Depuis quelques années, déjà, je suis un lecteur régulier de votre blog […] Je suis graphiste, pas un grand graphiste, juste un petit graphiste créatif publicitaire, qui s’est formé sur le tas, en piochant un peu de HTML par-ci, un peu de typographie par là, en lisant, en s’informant, en essayant, en échouant, et par dessus tout, en travaillant. Je me plains pas, mon travail commence à payer, j’évolue, certes lentement, mais mes acquis n’en sont que plus solides. […] 

Cependant, dans le cadre de mon travail, en print essentiellement, la manière d’être en contact avec le public, « l’utilisateur » même si en l’occurrence il faudrait plus parler de « consommateur », diffère énormément que celle qui vous décrivez, développez. Il n’y a que peu de place à l’émotion, à l’instinctif d’une part parce que l’ont est dans une logique marchande […] C’est extrêmement frustrant. Surtout parce que le résultat plastiquement parlant est très rarement à la hauteur de nos attentes. Second point, si comme la plupart des graphistes je souhaite faire du « beau graphisme », je tends également à vouloir engranger du graphisme « utile », du graphisme « humain » […]

  • Comment garder son intérêt pour le travail te la création ? 
  • Comment essayer de donner un sens à ce que l’on fait ? 
  • Comment y apporter un petit « plus », qui fera toute la différence ? 
  • Et, d’ailleurs, est-ce illusoire d’avoir ce genre de démarches, dans le cadre de supports marchands, cadrés, et chartés ? 
  • Alors ou se trouve l’équilibre, finalement ? Dans la recherche ? La sincérité de la démarche ? L’immédiateté marchande, commerciale ? […]
  • Simplement dans la satisfaction d’un job, un simple job, correctement effectué ?

Je ne sais pas. « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien », mais ces problématiques -nombreuses, et décousues, j’en conviens- sont mon leitmotiv, ma raison de me lever le matin. Ça et l’envie de créer de beaux visuels. Je ne suis pas près d’y répondre à mon avis, mais j’avais envie de le partager. »

Baptiste, 23 ans, graphiste, passionné.

Ma réponse :

Baptiste,

Ce que vous décrivez comme la logique marchande / marketing versus le « user centric design » est quelque chose qui me parle beaucoup et qui pourtant n’est pas du tout antinomique. En effet, les rouages économiques et la logique marchande sont bien rodés et il faut les connaitre de l’intérieur pour pouvoir travailler avec.

Pour ma part, j’ai démarré tout comme vous, en tant que graphiste. J’ai commencé quand j’étudiais aux Arts Décoratifs de Paris et j’ai débuté par le dessin de logos, d’affiches, la création de sites internet, etc. Puis petit à petit, j’en suis venu à faire des chartes graphiques, des stratégies de communication, des applications numériques (web, mobiles, etc.), et là, la stratégie de communication a été plus importante et donc très vite, l’aspect commercial est entré en jeu et a pu prendre une position centrale.

Cependant, même si j’ai beaucoup de plaisir intellectuel à imaginer des façons de gagner de l’argent ou des stratégies pour promouvoir tel ou tel service, je me suis, instinctivement, toujours dirigé vers le côté de l’utilisateur et l’importance de son plaisir. En résumé, si je n’utilise pas ou ne prends pas plaisir à utiliser/regarder/manipuler un projet que je suis en train de créer, je sais que ce n’est pas la bonne direction.

Enfin, j’ai également décidé de certaines choses pour garder cette liberté:

  • j’ai décidé de rester designer indépendant pour garder mon intégrité, mon autonomie;
  • je ne souhaite pas être riche ou célèbre (je viens d’un milieu modeste);
  • j’ai refusé toutes les propositions d’embauche (CDI, CDD.);
  • ça ne m’a pas empêché de monter une première startup (Yoocasa) il y a trois ans ni de travailler avec de nombreuses entreprises et startup;
  • je préfère ne pas travailler plutôt que de travailler sur des projets inintéressants, qui ne collent pas à mon éthique;
  • qu’importe le projet (numérique, mobile, papier, interface, objet, etc.) je garde et applique ce que j’ai appris (typo, mise en page, rigueur, simplicité, etc.)
  • je passe énormément de temps à expliquer, à faire de la pédagogie avec certaines personnes avec qui je travaille, je collabore.
  • c’est aussi dans cette optique que j’ai décidé d’être chercheur en design dans le laboratoire de recherche de l’EnsadLab.

En apparence, ce sont beaucoup de concessions, mais en réalité je m’en sors plutôt bien et c’est pour moi une immense liberté. J’ai monté ainsi mon agence de design
début janvier 2012 (Geoffrey Dorne SAS) et mon but est de trouver un bon équilibre entre les projets pour des entreprises, pour le culturel, pour des startup, des fondations, etc. et les projets développés au sein de mon agence tout en trouvant derrière chacun de ces projets, un modèle économique pour pouvoir en vivre.

Merci Baptiste pour votre question 🙂




9 commentaires

  1. J’ai ressenti sensiblement la même chose que baptiste il y a quelques temps. Je ne travaille pas chez l’annonceur mais en agence, ce qui me permet déjà de côtoyer des métiers variés – et d’en apprendre beaucoup – mais surtout d’avoir une partie des projets qui m’intéressent réellement.

    À un moment donné, les autres projets – ceux qui relevaient de l’exécution ou me motivaient moins – pesaient lourds sur ma motivation et mon intérêt pour ce métier. Mais après quelques temps, me retrouver confronter à mes erreurs et mes limites m’a fait réaliser qu’on ne pratique pas un art : nous sommes des techniciens également, et nous avons besoin d’exercice.

    C’est désormais ainsi que je traite ces projets peu enthousiasmants : ça me permet d’être sérieux dans mon travail, d’une grande application.

    Je suis peut-être un peu hors-sujet mais ce n’est que l’écho de cette lecture.

    Merci à vous deux d’avoir partagé vos pensées !

  2. Graphiste en agence depuis 3 ans, je fais face aux mêmes interrogations que Baptiste. Bien que jonglant du web au print en passant par l’interactif et autres supports digitaux, loin de l’ennui et de la routine, ces questions me hantent et remette aujourd’hui en question ma place au sein d’une agence. Je rejoins @Gaël qui dit « nous sommes des techniciens également ». J’apprends et prends plaisir aujourd’hui, au delà de mon métier de graphiste, de créatif, à concevoir, penser, résoudre, répondre avant même de « montrer ». C’est d’ailleurs à la recherche de réponses, et merci @Geoffrey pour les tiennes (très justes en passant), que j’ai découvert ce blog et cette personne qu’est Geoffrey dont j’apprécie déjà les récits ! 🙂

  3. Graphiste en agence depuis 3 ans, je fais face aux mêmes interrogations que Baptiste. Bien que jonglant du web au print en passant par l’interactif et autres supports digitaux, loin de l’ennui et de la routine, ces questions me hantent et remettent aujourd’hui en question ma place au sein d’une agence. Je rejoins @Gaël qui dit « nous sommes des techniciens également ». J’apprends et prends plaisir aujourd’hui, au delà de mon métier de graphiste, de créatif, à concevoir, penser, résoudre, répondre avant même de « montrer ». C’est d’ailleurs à la recherche de réponses, et merci @Geoffrey pour les tiennes (très justes en passant), que j’ai découvert ce blog et cette personne qu’est Geoffrey dont j’apprécie déjà les récits ! 🙂


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