Il y a quelques semaines, Dominique Sciamma me contactait ainsi que d’autres designers pour co-écrire une lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle. L’idée est simple, exposer l’importance du design et proposer des idées, des pistes d’actions. Le plus difficile aura évidemment été de se mettre d’accord, de trouver un juste milieu, ça n’est évidemment jamais parfait mais nous aurons essayé. Cette lettre, il est possible de la signer sur le site Avaaz, vous pouvez la lire ci-dessous et elle est disponible en PDF.
« Designer(s) de la République »
« Mesdames, Messieurs,
Vous êtes candidat(e)s à la Présidence de la République, c’est à dire à la plus haute fonction de notre démocratie républicaine. La constitution vous conférera, si vous êtes élu(e), des pouvoirs énormes qui vous permettront d’orienter la destinée de tout un pays. Parce que la France rayonne, parce que nous vivons dans un monde ouvert et interconnecté, vos actions auront un impact au‐delà des frontières de ce pays, et votre responsabilité sera aussi européenne et mondiale. Si vous êtes élu(e), vous serez mandaté(e) pour permettre à toutes celles et ceux qui résident dans ce pays d’avoir une vie meilleure, quel que soit son genre, sa couleur de peau ou sa nationalité, de manière individuelle et collective. Une vie meilleure, c’est aussi un emploi, et l’attractivité comme la compétitivité du pays en sont la condition.
Quel est votre dessein ? Quels sont vos plans, c’est à dire votre dessin ? En d’autres termes, quel(le) designer voulez‐vous être ?
Car c’est bien du design que vous allez faire : observer, comprendre, problématiser, imaginer, créer, proposer, tester, concrétiser, installer. Pas seul(e), mais de manière collective. En joignant les intelligences, les disciplines, les sciences. En étant créatifs, en étant disruptifs, en sortant des formats. Et pour cela vous allez avoir besoin de design et de designers. C’est une révolution que d’autres pays ont déjà faite, en intégrant explicitement le design au plus haut niveau de leur stratégie politique, industrielle et économique : le Royaume‐Uni, le Danemark, la Finlande, l’Inde, la Corée du Sud, ou Singapour. Dans ce dernier pays, c’est le Premier Ministre lui‐même qui impulse et annonce la stratégie Design de l’État, et qui explique pourquoi, à tout niveau, à chaque instant, il faut mettre en œuvre cette pensée opérationnelle dans les organisations publiques et privées. Notre pays, fort d’un passé industriel glorieux, a laissé passer cette révolution qui institue le design comme un paradigme autant qu’un outil de développement industriel, économique et sociétal. Trop sûr de la toute puissance de la technologie et de l’ingénierie, notre pays a ignoré une approche bien plus en adéquation avec la réalité complexe du monde et la nécessité d’innover dans les organisations, les méthodes, les démarches, les collaborations et les pédagogies.
Il est (encore) temps de changer : l’écosystème du design est prêt à agir rapidement et efficacement, dans la mesure où une vision politique clairement affirmée et un plan d’action défini permettrait, contrairement aux errances passées, d’établir une véritable politique du design en France. La France possède des écoles de design, publiques et privées, qui figurent parmi les meilleures du monde. Les designers qu’elles forment sont plébiscités partout dans le monde, parce qu’ils sont porteurs d’un génie français qui ne demande qu’à s’exprimer enfin pleinement en France. Nos grandes écoles d’ingénieurs et de management s’intéressent de plus en plus au design et aux designers. Nos industries de pointe comme celles des services, sont en train de découvrir la puissance du design en termes de création de valeur, de capacité d’innovation et d’ouverture de marchés.
Que faire ?
Nous vous proposons ici quelques idées dont nous savons qu’elles sont porteuses d’avenir, et sur lesquelles nous vous demandons de vous positionner.
Créer un Conseil National du Design, à l’instar du Conseil National du Numérique et qui aurait d’abord pour mission d’aider à la formulation et l’adoption d’une stratégie nationale du design, puis formuler de manière indépendante et de rendre publics des avis et des recommandations sur toute question relative à l’impact du design sur la société et l’économie. Il sera en charge du dialogue et des actions interministérielles de l’État en matière de design en prenant en compte la diversité des secteurs du design ; il aura aussi la mission de la mise en visibilité internationale du Design français (label « French Design »).
- Identifier et mettre en place les moyens financiers d’une stratégie nationale « Design ».
- Imposer la prise en compte d’une démarche Design dans toute réponse à appel d’offre émis par l’État et les collectivités territoriales.
- Mieux préparer les étudiants des écoles de design aux réalités technologiques, économiques et managériales.
- Intégrer systématiquement un enseignement du design dès l’école primaire et jusqu’au lycée, en s’inspirant de programmes et d’initiatives existants en France et dans le monde comme « Bâtisseurs de Possible » et « Design for Change ».
- Faire en sorte que le Design devienne formellement une discipline académique, au sens du CNU, afin que la France s’aligne sur tous les autres pays où la recherche en Design est organisée, identifiée et productive, et que des thèses en Design puissent ainsi être formellement soutenues.
- Favoriser l’articulation de la stratégie nationale de design aux initiatives européennes en matière d’innovation, notamment dans le cadre de H2020.
- Faire reconnaitre les niveaux de certification et de rémunération des designers dans les grilles socio‐professionnelles pour que les niveaux de rémunération des designers dans les entreprises soient en rapport avec leur valeur ajoutée.
- Reconnaître d’utilité publique certains organismes comme l’APCI (l’Association pour la Promotion de la Création Industrielle) qui promeut le design français en France et à l’international depuis plus de 34 ans, l’IFD (Institut Français du Design), créé en 1951 par Jacques Vienot et qui défend un design responsable, le VIA (Valorisation de l’Innovation dans l’Ameublement), FDE (France Design Éducation) qui regroupe les principales écoles de design françaises, l’AFD (Alliance Française des Designers) et bien d’autres, et en favoriser le rapprochement et la synchronisation sous l’ombrelle du Conseil National du Design.
- Favoriser la création d’un événement biennal mondial à Paris, autour du design dans toutes ses dimensions (éducation, recherche, industrie, économie, emploi, culture), en alternance avec l’autre grand événement mondial qu’est la Biennale Internationale de design de Saint‐Étienne, qu’il faut développer et soutenir.
Ce sont là les premières orientations de ce qui pourrait aboutir à une vision politique d’un design au service d’un progrès réaffirmé et réinventé, dans les domaines de l’éducation, de la recherche, de l’industrie, de l’emploi et de la culture. Nous vous interpellons aujourd’hui pour signifier sa nécessité absolue, mais plus encore l’urgence que ces enjeux soient enfin saisis et traités par des femmes et des hommes dont l’ambition est de faire réellement entrer ce pays dans le XXIe siècle.
Sans design, nous pensons que c’est impossible. Et vous ? »
Voilà, je suis très curieux personnellement de savoir ce que vous en pensez, j’espère naïvement mais sincèrement que le design aura sa place dans notre nouveau gouvernement… Mais je sais que dans tous les cas, c’est à nous de nous en occuper, de placer l’action du design dans le champ politique.
Signer cette lettre ouverte sur le site Avaaz.
Bonjour Geoffrey,
Merci pour cette info.
Si je suis tout à fait d’accord avec les constats et la considération du design comme une discipline incontournable y compris sur des problématiques étatiques, je ne partage malheureusement pas les préconisations qui me semblent aller dans un sens inverse : celles-ci n’ont en effet pas été « redesignées » depuis des lustres. Il y a des années qu’on parle de grands conseils et de labels. Les pays qui se sont lancés sur ces voies ne représentent pas pour autant des succès indiscutables. Combien d’expositions sur le design pour quels résultats ?
Si en effet le design est une discipline, comme le judo ou le tir à l’arc, il n’y a rien de tel que la pratique ! Éventuellement, on peut aussi découvrir et apprécier en regardant faire : tout comme on va au stade voir du sport, il peut être intéressant d’aller dans les organisations voir le design se faire. Mais la liste des résultats sportifs du weekend ou les expos sur les sportifs de haut niveau ne drainent majoritairement que les passionnés…
À mes yeux, le design est un jeu, avec relativement peu de pratiquants et au lieu de se concentrer sur le fait d’en faire découvrir les joies et développer ainsi collectivement la pratique, on cherche systématiquement à le faire rentrer dans un schéma organisationnel sclérosant.
Je ne sais pas si cela a pu faire partie des débats que vous avez visiblement eu mais à l’occasion, je veux bien en savoir un peu plus ! 😉
Je comprend que nombre de designer se convainquent, à raison, de la nécessité d’intégrer une réflexion sur le design au niveau de l’état.
En revanche je trouve que son rôle est surcoté par les designers. Cela vient probablement de l’enseignement théorique très académique des écoles françaises, qui insistent lourdement sur des héritages idéologiques sur le « rôle » du designer dans la société.
Ce document donne l’impression d’un manifeste de lobbyistes, à ce point persuadé de l’importance de leurs enjeux qu’ils sont incapables de voir l’arrogance de leur proposition.
Remplacez « Designers » par « Cuisiniers », vous verrez comme ça sent l’ambassade ancien régime !