Pour répondre rapidement à cette question : non. Mais prenons le temps de développer.

Depuis quelques années maintenant, une petite partie du microcosme du design européen et du design français (que je connais un tout petit peu mieux) constate qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec le design. Les autres continuent à produire en masse sans réfléchir.

Le design a-t-il un problème ?

Pour comprendre cela, je vous invite à regarder ce documentaire Arte sorti en avril 2021 qui présente une vision du design contemporain. On constate en le regardant que les projets présentés sont en majeure partie des œuvres d’art contemporain et pas du design. Pour le reste, il s’agit principalement de productions conceptuelles qui s’adressent à une élite, souvent déjà en lien avec le monde du design. L’objectif de ces projets présentés est souvent caché mais ne nous trompons pas, il s’agit de gagner de l’argent. Beaucoup si possible.

Cette petite partie de designers qui constatent que ça ne va pas, observe notamment les conséquences et causes du réchauffement climatique, de l’extinction des espèces vivantes sur terre, de la précarité grandissante, du néo-libéralisme, du capitalisme de surveillance, etc. Et les causes sont nombreuses, vous le savez. Petit à petit, on se rend compte qu’une majeure partie du travail de production contemporain placés sous le mot « design » contribue, à sa mesure, à différentes formes de destruction environnementale, sociale, économique, etc.

Le design est-il un problème ?

Devant ce constat amer, j’entends et je lis parfois des réflexions qui affirment que pour être un bon designer ou pour être un designer « éthique » (rappel : ça n’existe pas) : il faudrait arrêter de faire du design. Il faudrait être un designer abstinent. Ainsi, en devenant un designer qui ne crée plus, mais qui commente, qui critique et qui distribue les bons points et les cartons rouges, on pourrait enfin se targuer d’être « un bon designer » puisque l’on n’aurait pas d’empreinte (carbone ?) sur le monde.

Facile non ? Si on pousse cette logique de l’évidence, cela signerait la fin du designer qui crée des formes de design (objets, interfaces, images, outils, services, etc.) et cela le positionnerait comme un être repenti, qui a compris quelque chose que les autres designers n’ont pas compris puisque eux, continuent de faire du design.

Du design ? Pas de problème !

À mes yeux, cette approche est une impasse puisque l’humain (comme toute forme de vie), qu’importe son activité, modifie son environnement. L’humain possède une empreinte sociale, environnementale, culturelle, etc. Il modifie par conséquent son environnement (le monde autour de lui). Cependant, j’en parle régulièrement ici, ne pas se poser de questions sur sa pratique de designer (qu’importe si l’on crée des objets, des vêtements, des livres, des affiches, des interfaces, etc.) et surtout sur les conséquences de cette pratique, me semble dangereux. Pas forcément pour sa propre carrière (et encore), mais pour l’avenir du design.

Si l’on continue à dire que le design est le problème, le design est mort. Si l’on continue de dire que les designers, qu’importe ce qu’ils font, sont le problème, les designers sont morts également. À la place, on peut se demander :

  • Dans quels rouages ma pratique du design s’inscrit ? (capitalisme, associatif, surveillance des populations, réconomie…)
  • Pourquoi est-ce que je fais du design ? (pour être une star, pour payer mon loyer et manger, pour aider mes proches, pour les défis techniques que cela représente, etc.)
  • Quel sont les impacts environnementaux, sociaux, économiques, etc. de mon travail de designer ? (si je travaille pour un parti politique, un gouvernement, une multinationale, une PME, une ONG, si je fais un travail d’auteur, etc.)
  • Que puis-je changer / améliorer dans ma pratique du design pour réduire ou améliorer son impact, ses conséquences, aussi modestes soient-elles ?
  • Quelles sont les excuses que je me donne pour ne surtout rien changer et me mettre dans une position d’inconfort ?
  • Est-ce que certaines formes de design que je crée, sont réellement du design ? Ou alors est-ce du marketing ? Est-ce de l’ingénierie ? Est-ce de l’art ? Autre chose ?
  • Ce qui m’amène à la dernière question : si je ne suis pas designer (si je ne crée pas de formes de design), quel est mon métier en réalité ? Ou encore : et si je n’étais pas designer, que pourrais-je faire ? Cela serait-il, selon moi, plus positif ? Moins destructeur ? Plus constructif ? Pour moi ? Pour les autres ? Pour l’environnement ? La société ?

Évidemment, les questions soulevées par cette approche sont des questions politiques (on n’est pas chez Basecamp ici ;-)) et leur implication / raisonnement doivent se penser collectivement et non individuellement.

Bon alors, faut-il arrêter de faire du design ?

En conclusion, cet article est une façon pour moi d’ancrer le design dans une réalité concrète, celle d’un métier (un métier qui pour moi est ma vie), et non d’une posture stellaire qui viendrait imaginer que le design ne devrait avoir aucun impact sur le monde. Au contraire, il en a un, parfois monstrueux, parfois immense, parfois même modeste (ce que je préfère).

Ainsi, la dernière question que je me pose serait donc de savoir que faire de cet impact, comment l’orienter, le freiner, l’amoindrir, le rendre moins basé sur la croissance, moins rapide, moins rentable, moins élitiste, moins techno-centré, plus doux, plus poétique, plus vivant, plus politique, plus social, plus radical, plus artisanal, plus en lien avec le vivant… plus constructeur que destructeur.

[images réalisées par mes soins pour l’occasion]




7 commentaires

  1. Et si, nous Designer, avions l’ambition d’avoir à travers nos disciplines et projets un impact POSITIF sur notre le monde, l’environnement, le sociale, l’écologique, la politique… C’est cette notion que j’aurais aimé lire dans votre conclusion! 😉

  2. Bonjour Geoffrey,
    Au risque de rappeler des poncifs, comme ton propos s’adresse aussi aux non-designers, il faudrait peut-être rappeler le couple forme/fonction car le risque d’incompréhension est aussi généré par une vision du design uniquement déterminé par la forme. Associer le travail de la fonction permet à mon sens de discriminer rapidement ce qui fait design et pour quelle finalité.
    Bien à toi

  3. Bonjour Goeffrey,
    Et merci pour cet article qui nous pousse à nous interroger. Ah sa lecture on se demande si le design a un avenir. Mais qu’est-ce que le design exactement? L’extérieur pur, c’est-à-dire la couleur, la forme, l’apparence des choses? Ou plutôt la conception de quelque chose qui fait ressortir adéquatement un contenu, une fonction, un sens?
    Mais la question le plus importante n’est-elle pas: Que serait nos vies sans le design?
    Meilleures salutations.


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