Imaginons que dans un futur plus ou moins proche, il nous sera impossible de différencier le contenu créé par un humain du contenu créé par une IA. Dans les lectures, les écoutes musicales, les séries, les films, les photographies et tous les contenus pouvant être numériques il y aura un mélange entre ce qui est conçu humainement et par les IA.

Mais avez-vous déjà ressenti ce sentiment étrange de lire quelque chose et de vous rendre compte que c’est écrit par ChatGPT ? Ou avez-vous déjà écouté une musique et vous rendre compte qu’elle est générée par Udio ? Pour ma part, dans la seconde où je m’en rends compte, mon intérêt pour le contenu s’en retrouve terriblement diminué. Je ne sais pas exactement pourquoi et je n’ai pas de mot pour ce sentiment. Je pourrais demander à ChatGPT de m’en trouver un… mais j’appellerais instinctivement ce sentiment d’ia-rnaque. De m’être fait avoir d’une certaine manière. En effet, je ne lis pas de la même manière un contenu rédigé par un humain ou un contenu rédigé par une IA. Mon cerveau ne considère pas le contenu de la même manière. Mais cela changera peut-être avec le temps.

Il y a aussi bon nombre de personnes qui ne veulent pas du tout entendre parler des IA et qui boycotteront ou critiqueront peut-être certains médias s’ils font appels à des IA pour produire du contenu. Imaginez demain, si Le Monde et Libération rédigent leurs articles avec des IA. Imaginez Arte qui propulse des documentaires totalement générés en IA. Ou si la FNAC vous propose dans les livres à lire, des milliers de titres produits en quelques semaines à l’aide d’IA. Imaginez enfin que toutes vos playlists Deezer ou Spotify soient constituées de musique générée par des IA. Quel serait votre ressenti ? Votre impression ?

Dans mon idée, je me dis qu’une génération arrivera peut-être avec un sentiment de post-humanité. Un sentiment où chacun se dit que peu importe si cela est créé par un humain ou une IA, tant que cela « me plait ». Nous n’y sommes pas encore mais peut-être que cela arrivera un jour, de la même manière qu’on a vu arriver des groupes sociaux pour qui « la vie privée » est un concept dépassé au même titre que « la vérité » aujourd’hui dans les médias.

Mais en attendant cela, j’imagine un monde numérique où les services, les médias, les sites Internet présenteront des options pour afficher ou non le contenu généré par IA et ainsi proposer aux utilisateurs, les différentes versions. Cela existe déjà sur les plateformes de vente d’images en ligne pour faire le tri entre les images générées et les images non générées.

Choisir l’IA, le design de interfaces de demain ?

Deezer

La Fnac

Le Monde

J’ai aussi fait des essais avec d’autres sites et cela paraît déjà intégrable facilement. Reste à voir l’accueil réservé aux sites proposant ce genre de système, les personnes réticentes au contenu généré par l’IA seront aussi ravies, je le pense, d’apprendre que certains sites web comme certains médias utilisent déjà de l’IA, pourront comparer les versions aussi. Certains sites éditeront une Charte indiquant qu’ils ne feront pas appel à l’IA dans leurs production, je n’en doute pas.

Vers un design de la confiance ?

Si ce type de proposition d’interface se met à exister, cela ouvrira aussi une question de design très importante : le design de la confiance. Aujourd’hui, chacun connait les pictogrammes et labels que l’on retrouve dans l’alimentation, certains sont plutôt fiables et d’autres ne valent que ce que l’on veut bien leur prêter.

Le design des labels signifie aussi les choix politiques gouvernementaux ou les choix individuels des entreprises. Cela repose donc sur des questions d’arbitrage éthique. Une question qui pour moi, est de grand intérêt pour le design contemporain. Que se passera-t-il si demain un service garanti son contenu 100% sans IA ? Et si quelqu’un importe sur la plateforme un contenu fait par IA mais que cela n’est pas perceptible ? Et si cela est impossible à vérifier ?

Pour le média Synth (dont j’ai récemment créé l’identité visuelle), qui utilise parfois l’IA pour le son ou les vidéos, j’ai créé cette série de symboles qui sera utilisée pour signifier si un contenu est généré en IA. J’ai fait deux versions, une facettée pour l’usage avec le logo de Synth et une autre plus arrondie pour les contenus qui seront hors du média.

À ma connaissance il y a déjà d’autres labels de ce type comme par exemples les AI labels, le travail prospectif de Meta sur l’interface d’Instagram ainsi que plusieurs labels indiquant que l’IA n’a pas été utilisée dans une création.

Mais voilà, comment prouver que ces labels sont utilisés à bon escient ? Y aura-t-il des inspections IA / non-IA sur les contenus pour vérifier que les labels et les entreprises disent vrai ? Cela sera-t-il possible ? Je pense que cela devra reposer sur la confiance, sujet délicat mais ô combien précieux en matière de design. J’imagine aussi que pour faire naître cette confiance, il faudra concevoir un design d’expérience qui repose aussi sur les coulisses de la création. Montrer comment les images sont photographiées, comment les peintures sont peintes, comment les vidéos sont tournées, montrer le studio d’enregistrement d’une chanson et mettre en avant l’artisanat, le fait main, le fait avec le cœur aussi. Évidemment, toutes ces coulisses pourront être générées, là aussi avec des IA me direz-vous…

Vers un web pré-post IA ?

Pour pousser la réflexion encore plus loin. Si demain il ne sera plus possible de différencier les contenus générés en IA des contenus créés par des humains, sera-t-il possible d’imaginer une frontière culturelle pré-post IA ? Imaginons quelqu’un qui rejette l’intégralité du contenu créé par les IA, dans ce cas, il faudra penser la possibilité d’avoir un accès au contenu d’avant 2023 (date à laquelle on pourrait dire que le contenu en IA a démarré) et… rien après. Ce serait quelque part terrible de se couper de toute possibilité de nouveauté, mais cette vision imaginaire offrirait au moins la certitude de n’avoir aucun contenu généré par des IA.

Exemple ici avec Wikipedia

Conclusion

Ceci est un simple aperçu et une introduction réflexive sur les paradigmes d’interfaces graphiques, d’expériences et aussi de design graphique sur l’avenir du numérique. Je tiens aussi à ajouter qu’en matière de design, même si en apparence les réponses semblent techniques, en réalité, elles sont sociales. Ce seront des choix sociaux et éthiques qui décideront si oui ou non l’IA sera intégrée dans du contenu et de quelle manière. Ce seront des choix sociaux et éthiques aussi qui décideront si un média ou une structure travaille à partir d’une IA ou fait appel à un humain. Ce seront aussi des choix sociaux et éthiques qui décideront de quelle manière le design s’engage sur la voix de l’IA. Les possibilités sont nombreuses, la société et ses usages vont donc évoluer et comme toujours le design sera là pour accueillir, proposer, imaginer et concevoir de façon concrète les expériences et interfaces qui en découleront.




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