“Sexualité. Les neuro-nano-biotechnologies feront-elles la prochaine révolution sexuelle ? D’aucuns en rêvent.
«Tout indique que, dans notre monde occidental, nous nous acheminons vers une sexualité sans contact physique et sans partenaire… L’utilisation d’interfaces nano, neuro et biotechnologiques permettra probablement à la fin du XXIe siècle d’établir des relations encore plus intimes que les relations charnelles entre deux êtres. Des logiciels reliés à des nanodispositifs permettant un contrôle direct du cerveau pourraient déclencher des orgasmes à volonté et en toutes circonstances. Et lorsqu’une connexion sans fil entre les centres du plaisir de deux cerveaux sera réalisable, l’acte sexuel au sens où nous l’entendons aujourd’hui, ne sera pas plus intime qu’une poignée de main.» Ainsi rêvait le sociologue américain James Hugues, en marge du colloque sur la «sexualité du futur» organisé fin 2007 par le Club d’Amsterdam, groupe de réflexions prospectives rassemblant des universitaires, des chefs d’entreprise et des artistes. Hugues dirige l’Institut pour l’éthique et les techniques émergentes, une association à but non lucratif basée dans le Connecticut dont la vocation est de «promouvoir les usages éthiques de la technologie pour l’augmentation des capacités humaines». La révolution qu’il annonce est celle promise par le transhumanisme, un courant de pensée qu’il anime dans le sillage de son fondateur, le Suédois Nick Bostrom. (Lire ci-dessous). Comme lui, il milite pour l’«amélioration» technologique des performances de l’espèce : procréation par tous les moyens possibles, dopage mental par la chimie ou l’électronique, prolongation de la vie ad libitum, et orgasmes à gogo…
Ne serait-ce là que la énième resucée, plutôt glauque, d’un monde peuplé de gens normés, déjà si bien visité par Orwell ? Force est de constater qu’au chapitre de la sexualité la fiction transhumaniste flirte avec les marges du monde réel et les tendances de la recherche : le high-tech dope aujourd’hui les horizons du plaisir solitaire, comme l’indique le succès des amours virtuelles nouées sur les réseaux sociaux de la Toile ou encore la gamme – très tangible, elle – des sex toys d’avant-garde déjà sur le marché. Entre autres, ce vibromasseur fluo et dernier cri qui, connecté à un ordinateur, permet de «vibrer en phase avec ses fantasmes», assure son créateur, grâce à un programme chargé sur une clé USB.
Interfaces haptiques. Cependant, cet univers de sexualité 2.0 est rustique en regard de celui pensé par les futurologues du sexe, transhumains, postmodernes et autres amoureux de techno, dont le vocabulaire se nourrit de recherches bien réelles : interfaces haptiques, «réalité virtuelle augmentée» permettant de voir en 3D et sentir des créatures de rêves, «implants nano-neuro-biotechnologiques».
Orgasmatron. Ce genre de percée n’a pas échappé aux militants de l’orgasme garanti : ils promettent le débarquement de la «combinaison haptique» qui, une fois enfilée, permettrait de percevoir à distance, grâce à un réseau wi-fi, toutes les sensations que pourraient procurer les caresses les plus expertes distribuées par des logiciels tactiles, voire par des représentations virtuelles, en 3D, de créatures de rêve. «Le dispositif haptique pourrait être réalisable bientôt, mais la technique est encore très coûteuse, estime Aurélien Pocheville, titulaire d’un doctorat en réalité virtuelle et haptique, et responsable d’un moteur de jeu au sein de Wizarbox, une société de jeux vidéo. La seule interface haptique existant – sous une forme très rudimentaire – pour le grand public est la manette de jeu Wii», précise-t-il. De la Wii à la combi, il y a du chemin. L’illusion de la créature en 3D, elle, est moins floue. De nombreux laboratoires de recherche en informatique travaillent à la création d’une «réalité virtuelle augmentée» qui permettrait à une personne réelle d’avoir une activité sensori-motrice et cognitive dans un monde numérique.
Overdose. Une telle percée transporte évidemment les défenseurs du droit de prendre son pied grâce à des machines, lesquels évitent cependant la question délicate de l’impact possible sur le comportement humain d’un septième ciel à portée de main… On connaît cependant l’effet chez les rats, grâce à une expérience menée au milieu des années 50 par deux chercheurs de l’université McGill au Canada, Olds et Miller. Ces derniers ont planté des électrodes dans une région du cerveau qui sera nommée plus tard, «aire septale», associée aux centres du plaisir. En sautant sur un levier, chaque animal avait la possibilité de s’administrer une décharge, déclenchant ainsi un orgasme. Les résultats de l’expérience sur les rongeurs laissent songeur : ils ont appris remarquablement rapidement à sauter sur le levier, et s’y sont précipités avec une fréquence qui augmentait très vite. Au point que les plus costauds se sont pris une centaine de décharges par minute. Et cela en dépit du fait que l’intensité des décharges devenait de plus en plus puissante. Moralité : à ce petit jeu, certains sont morts de fatigue, d’autres ont péri d’électrocution violente. Overdose chez les rats.
Que deviendraient les communautés humaines face à une telle offre du techno-plaisir ? «Il nous est impossible de prédire l’éthique d’une telle société avant son avènement, explique Alexei Grinbaum, chercheur au CEA, également membre du groupe de recherche et d’intervention sur la science et l’éthique (Grisé) de Polytechnique. Aussi, bon nombre de travaux de futurologie se sont soldés par des prévisions très éloignées de la réalité. C’est que le développement d’une technique est toujours l’objet d’oppositions qui questionnent, et ce faisant donnent le temps de construire une éthique pour cette nouvelle donne.»”
via liberation