Pourquoi faut-il virer tous les designers de la Silicon Valley ? C’est Mike Monteiro qui pose cette question dans un récent article publié sur le Los Angeles Times. Vous le connaissez peut-être, ce designer américain n’a pas sa langue dans sa poche et je prends souvent plaisir à le lire, autant pour ses qualités que ses défauts. Souvenez-vous de ses questionnements autour de l’éthique dans le design par exemple. Fondateur de l’agence Mule Design, il milite activement contre les abus du design et pas seulement ceux de la Silicon Valley. Il rappelle souvent que beaucoup d’entrepreneurs cherchent à innover mais qu’aucun ne cherche réellement à changer quoique ce soit.
Bref, il y a quelques jours dans le Los Angeles Times, Mike Monteiro invitait tous les designers de la silicon valley à démissionner ! Rien que ça. Selon lui, il n’est plus à prouver que les designers ont un pouvoir énorme dans ces entreprises et donc sur la vie des gens. Le Like Facebook, le Pull to Refresh de Twitter, les mécaniques addictives de Candy Crush, le scroll infini d’Instagram… Autant de choses puissantes qui rassemblent les gens vers des actions d’envergure. Mike se demande donc : comment s’assurer que ces actions seront éthiques et responsables ?
Je cite : « Tout comme on encourage les enfants à bien se comporter, nous ne devrions pas avoir besoin d’encourager les designers professionnels à en faire de même. Encouragiez-vous les chirurgiens à faire leur travail correctement ? Cela vous semblerait étrange non ?»
Selon lui, le problème est que la profession n’est pas réglementée. Il n’y a aucun statut, aucune accréditation, aucun titre ou diplôme. Tout le monde peut, du jour au lendemain se déclarer designer. Selon lui, ce serait comme si n’importe qui ouvrait un cabinet se déclarant oncologue ou obstétricien. Si l’on regarde en arrière, les designers faisaient principalement des affiches, des jaquettes de CD, des sites web pour des films : bref, rien de dangereux pour la vie des gens. Aujourd’hui, nous créons des interfaces pour des automobiles autonomes, pour des outils de chirurgie, des interfaces qui influent sur notre système nerveux et notre cerveau au quotidien, etc. Bref, nous avons de lourdes responsabilités.
À Mike Monteiro de citer ses détracteurs qui déclarent que de réglementer la profession viendrait tuer l’innovation. Parce que l’innovation ne devrait en théorie, ne pas être réglementée, elle doit aller très vite et franchir toutes les étapes sans obstacle. Et pourtant, on le sait, la croissance non régulée tue les gens, c’est biologique (Mike Monteiro fait un très délicat parallèle entre son argument et la mécanique des cellules cancéreuses : elles sont non régulées par le corps humain et finissent par tuer). C’est ce qu’il s’est passé au début du XXe siècle lorsque le gouvernement américain a réglementé l’industrie de la viande. La viande étant bourrée de médicaments et produite n’importe comment, des gens commençaient à mourir en en mangeant (bon, c’est toujours le cas hein…). L’État avait donc une obligation d’agir devant le fait accompli. Selon Mike Monteiro, nous ne devons pas attendre que la technologie ou les entreprises de design se régulent d’elles même car leur but est de faire du profit de façon abyssale. C’est à l’État et aux organisations d’agir.
Ses autres propositions, en dehors de la réglementation sont l’éducation au design et au travail résonné. Comme il le dit lui-même : « Je préconise des règles qui rendent plus difficile pour moi de gagner ma vie. Cela devrait vous faire savoir à quel point j’ai peur que ce genre de conséquences arrivent.»
Une façon de mettre les designers face à leurs responsabilités et un discours qui questionne sur l’existence d’une profession réglementée, la labelliser. Cela permettrait peut-être de revaloriser la reconnaissance et l’importance du design ? Cela mettrait aussi sur la touche bon nombre de designers autodidactes ? À quand le serment d’Hippocrate du designer ? En faut-il un ?
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