Il y a six ans, je rencontrais Dominique Sciamma à la Cantine du Numérique à Paris (devenu alors le Numa aujourd’hui) et les échanges sur le design furent immédiats ! La passion, la conviction et la vision sont des éléments inhérentes au design et puisqu’il s’agit de vision, j’ai pris plaisir à lire le dernier texte de Dominique, aujourd’hui directeur de l’école de design Strate. Dans son texte, il aborde sans détour l’aspect stratégique du design mais aussi son aspect réel, loin des colleurs de post-it, le design est là pour penser et faire.

Je retrouve là l’énergie de Dominique, le grain de folie et l’humour, j’y retrouve aussi son regard bienveillant et plein d’espoir envers les nouvelles (et futures) générations de designers. Générations qui auront, je pense, d’importantes responsabilités : loin des projets inutiles, ce sont des crises sociales et politiques sur lesquelles il faut aujourd’hui travailler.

 La photo trop classe de Dominique et moi signée Rémy Bourganel 😉

Un leader est un designer

« Imaginez les services publics, la RATP ou TOTAL dirigés, à chaque instant, en toutes circonstances, pour satisfaire tous les acteurs de la chaîne de production de valeur. Imaginez des organisations humaines dirigées par des leaders inspirés par le design. Le design est la nouvelle force stratégique utilisée par les entreprises qui gagnent pour se réinventer, innover et établir une relation forte avec leurs clients.

Quelles devraient alors être les qualités de ces leaders attentifs et charismatiques ?

  • Ils sont multidisciplinaires car ils savent articuler harmonieusement différentes connaissances et points de vue.
  • Ils sont créatifs, car être un leader exige d’être inventif et sans tabous.
  • Ils développent la pensée critique, parce que diriger ce n’est pas croire, mais envisager toutes les possibilités, même les plus étranges.
  • Ils sont des innovateurs parce que le management du 21ème siècle doit se réinventer tout le temps.
  • Ils ont une culture étendue en sciences humaines et sociales parce que c’est la seule façon de lire et de comprendre les situations de la vie humaine.
  • Ils sont audacieux et généreux parce qu’ils savent réconcilier les aspirations des individus et la création de valeur.
  • Ce sont des pédagogues, car une vision doit être expliquée pour être partagée et développée.
  • Ils sont des « storytellers », parce que diriger c’est aussi mettre en récit.
  • La question centrale est alors la suivante : comment former ces leaders et où ?

Il n’y a pas une seule école de Management ou d’ingénieur dans le monde où l’on apprend constamment à penser, à se comporter et à agir comme un designer. Parce que toutes ces écoles sont construites sur un paradigme du pouvoir moribond, un rapport daté avec le profit, une relation hypnotique avec la technologie et une représentation obsolète de la société, où l’élite est formée par des pairs, certains de pouvoir comprendre et diriger le monde entre eux, et où la verticalité est la règle. Soyons clairs : il ne s’agit pas d’enseigner le Design Thinking ! Cette approche méthodologique a pu s’avérer opérante depuis 10 ans, tant que le design n’était pas un enjeu stratégique universel et que les entreprises et leurs dirigeants pensaient avoir presque tous les outils de management à leur disposition. Ils croyaient alors que l’application de la méthodologie, vu comme un simple complément, une couche supplémentaire, suffirait à leur réussite.

Il s’agit du design tout court ! Penser et faire !

Vous ne pensez pas de la même manière lorsque, à chaque étape, vous utilisez votre cerveau droit, c’est-à-dire des techniques de représentation, plutôt que des mots. Vous ne produisez pas de la même façon, lorsque vous représentez vos pensées, vos idées, vos créations, vos produits et vos histoires. Vous ne produisez pas de la même façon quand vous pensez à l’expérience et aux bénéfices de toutes les parties prenantes de votre organisation.

L’école de Management du 21ème siècle sera complètement différente, et ressemblera à et fonctionnera comme une école de design.

  • Elle sera multidisciplinaire et interdisciplinaire parce que le monde est complexe et multidimensionnel.
  • Elle réconciliera le cerveau gauche et le cerveau droit, la raison et la création, la rationalité et la sensibilité, l’équation et la représentation.
  • Elle sera nourrie de Sciences Humaines, pour pouvoir lire des situations de la vie humaine.
  • Elle sera centrée sur l’être humain plutôt que sur le client ou sur l’utilisateur, parce que nous sommes plus que des utilisateurs et plus que des portefeuilles.
  • Elle dispensera une pédagogie dirigée par les projets, parce que faire c’est apprendre.
  • Elle sera collaborative plutôt qu’autoritaire.
  • En fait, les écoles de design prendront la place qu’occupent aujourd’hui les écoles de Management et d’ingénieur, car la question « pourquoi ? » remplacera les questions « combien ? » et « comment ?».

Si le 19ème siècle a mis l’ingénieur à l’avant-garde d’une société nouvellement industrialisée (« comment ? »), le marketeur a régné la société de consommation du 20ème siècle (« combien ? »). Il est maintenant temps de prendre soin des gens, qui se trouvent également être des clients ou des collaborateurs. Le but à atteindre est une belle vie pour chacun d’eux, et le design est le seul chemin pour adresser leurs rêves, leurs désirs et leurs projets. Le design est la seule façon de répondre à la question « pourquoi ? ». La seule question qu’un leader devrait avoir en tête. »

(Texte publié à l’origine sur le site de l’école Strate)

À la lecture de ce texte, je crois que cette vision du design devrait être portée au regard de beaucoup d’entre-nous parce qu’elle fait réagir. Loin d’être extrême ou prétentieuse, la vision que défend Dominique est celle d’un design du sens, d’un design de l’action, de la transmission, d’un design qui cherche à rendre la vie un peu meilleure. Je parle ici de rêves mais aussi de survie, de citoyenneté (de société) et de politique.

S’en vient alors la longue transition : le passage d’un d’un savoir-faire des techniques du design à une pratique du design qui implique la recherche constante, une approche du monde, les choix stratégiques pour aller vers le mieux et les actions concrètes, tangibles, réelles et construites pour mener à bien cette approche du monde ?

La route est longue et merci à Dominique Sciamma de nous donner du carburant pour y réfléchir et avancer 😉




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