Bonsoir ! 🙂
Ce soir, je vous partage un texte passionant qui m’a pas mal fait réfléchir sur l’idée d’un “nouveau monde numérique”. Ce texte est de Gérard Moatti et c’est, à mon goût, plutôt bien écrit 🙂
Au début, il y eut un triple big bang : le numérique, l’Internet, le téléphone mobile. Cela se passait dans les années 1975-1995 – la préhistoire… Ensuite commença la « deuxième vie » des réseaux : cette période d’enfance dura de l’entrée en Bourse de Netscape, le premier « navigateur » (1995), à celle de Google, roi des moteurs de recherche (2004). Depuis, le village numérique mondial est en pleine effervescence. A quoi ressemblera-t-il dans dix ans ? Pour imaginer son avenir, ce livre est un excellent guide. D’abord parce qu’il met constamment en relation la logique des acteurs (Didier Lombard, son auteur, est depuis 2005 le patron de France Télécom-Orange) et celle de l’utilisateur final ; ensuite parce qu’il embrasse toutes les dimensions – techniques, financières, sociologiques – de ce paysage mouvant.
Le mouvement brownien de fusions et acquisitions qui agite les entreprises du secteur montre que, pour les stratèges eux-mêmes, l’avenir est imprévisible. Ce que l’on sait, c’est que le moteur de l’évolution, hier situé plutôt du côté des entreprises, s’est déplacé vers l’utilisateur : ce dernier n’est plus « l’extrémité passive et froide d’un réseau physique bilatéral ». Il est devenu lui-même un « noeud de réseaux », participant à un maillage complexe auquel il donne forme et sens. Il prend même part au processus d’innovation : ce dernier passe du modèle de la « cathédrale » (la recherche-développement classique) à celui du « bazar », où les idées et les perfectionnements peuvent venir de partout. Nous sommes, note l’auteur, dans une de ces rares périodes où ce ne sont plus les technologies qui créent de nouveaux usages, mais les usages qui orientent les technologies.
C’est que la vitesse fulgurante du progrès technique offre un champ immense de possibilités. Elle se traduit en quelques « lois » remarquables, rappelées au fil de l’ouvrage. Loi de Moore : le nombre de transistors pouvant être placés sur une puce de silicium double tous les deux ans. Loi de Cooper : le nombre de communications radio pouvant être acheminées dans une zone donnée double tous les trente mois. Loi de Kryder : la capacité de stockage des supports numériques double tous les ans. Lois de Metcalfe et de Reed sur la valeur exponentielle des réseaux en fonction du nombre de leurs membres…
La convergence du numérique et des télécommunications a transformé le modèle industriel. Aux deux métiers d’origine – les équipementiers et les opérateurs de réseaux – se sont superposées deux « couches » supplémentaires : celle des services (moteurs de recherche, courrier, etc.) et celle des contenus (textes, vidéos…). En même temps, l’extension des réseaux a fait naître une nouvelle source de recettes, la publicité : un enjeu majeur, pour l’instant accaparé par la « couche » des services – essentiellement l’américain Google. Cette concentration de la manne publicitaire sur l’Internet représente un transfert de l’Europe vers les Etats-Unis évalué à 7 milliards de dollars en 2007, et à 20 milliards en 2012.
Mais le paysage n’est pas figé. Les opérateurs de réseaux cherchent à entrer dans l’univers des contenus, les fournisseurs de services dans les réseaux, etc. Didier Lombard dénombre cinq motivations de ces mouvements : les acteurs de l’amont veulent se rapprocher du client final (comme France Télécom-Orange investissant dans les programmes TV…) ; ils aspirent aussi à prendre leur part du gâteau publicitaire ; de leur côté, les fournisseurs de services doivent investir en réseaux pour améliorer leurs performances (Google construit d’énormes « data centers », qui figurent parmi les gros consommateurs d’électricité…) ; la convergence des technologies justifie des rapprochements entre acteurs complémentaires ; enfin, des réflexes de mimétisme poussent certaines entreprises à se précipiter dans des voies ouvertes par d’autres.
Bref, on croyait qu’après la « sélection naturelle » provoquée par l’éclatement de la bulle Internet, au début de la décennie, l’avenir du village numérique serait un peu plus déchiffrable. Ce livre montre de façon lumineuse que les directions sont toujours aussi incertaines, et les paris financiers toujours aussi lourds.