Voilà quelques mois que cet article me démange et les récents événements m’ont donné l’envie d’en parler sur mon blog. La question ici est la suivante : va-t-on vers une fin du design ? Pas « la fin » mais « une fin ». Une fin d’un métier, d’une activité professionnelle, d’une passion, de rêves de nombreux designers de faire un métier utile, « qui a du sens », un métier indispensable pour bon nombre d’entreprises, d’ONG, d’associations, ou d’organismes publiques. Un métier aux vertus sociales aussi, environnementales encore parfois.
Quand je parle de ce design qui est touché, je précise que la majeure partie concerne le graphisme, les métiers de la communication mais aussi les motion designers, les illustrateurs, les designers d’interfaces et autres webdesigners. Peut-être que d’autres types de designers sont touchés par ce problème mais je suis moins au fait du design d’objet, du mobilier, du design sonore, etc.
Pourquoi cette question ?
Ça n’est pas les projets qui manquent dans le design (le design s’applique partout, tout le temps, dans tous les domaines de la société), mais bel et bien l’absence de travail sérieux, viable, impliqué et économiquement durable aussi. Depuis novembre 2023, je reçois bon nombre de témoignages de designers freelances mais aussi en agence qui n’ont plus de travail, qui quittent la profession de gré ou de force ou qui rentrent doucement dans la précarité.
Quelques témoignages
D’abord sur Twitter quand j’ai évoqué le sujet, j’ai eu quelques témoignages publics mais aussi des témoignages privés (que je garde pour moi). La plupart des gens avec qui j’ai pu échanger ont parfois « honte » de dire que ça ne fonctionne plus pour eux, qu’ils n’ont plus de travail. Forcément, ça semble moins attirant ou alors ils se retrouvent dans une posture où ils doivent accepter n’importe quel projet avec des conditions impossibles.
Puis via une recherche sur Reddit avec le mot graphiste me fait voir aussi des témoignages plus longs comme ceux-ci par exemple.
La fin de certains studios ou collectifs de designers
Ce matin, j’ai appris que le studio Praticable fermait ses portes lui aussi faute de clients (ils travaillaient principalement dans la conception de site web et d’interface).
Le designer principal de l’agence Nodesign souligne aussi cette lame de fond qui touche le monde du design en parlant de la situation actuelle des agences de design aux États-Unis. Extrait de son article :
Récession économique ?
La faute à la récession économique ? La faute à l’intelligence artificielle ? La faute à la médiocrité ? La faute à l’absence de financements dans l’ensemble des projets sociaux, culturels et d’innovation ? La faute au design-parisiano-centré ? La faute à la culture du cheap ? La faute à la mondialisation ? Au Covid ? Aux guerres ? Aux guerres économiques ? Tout ça à la fois ? Personnellement, je n’en sais rien. Si vous avez des suggestions, je suis preneur.
Les écoles & l’alternance
En France, en parallèle à cette crise, il y a le phénomène de l’alternance qui se généralise au sein des écoles de design, privées ou publiques. Le concept est d’offrir à des entreprises des jeunes en formation, la réalité est que ces jeunes ne sont pas reconduits puisqu’ils coûtent plus chers aux entreprises s’ils sont en CDI ou CDD, cette dernière préférant souvent alors reprendre des stagiaires et des alternants. On se retrouve alors dans une situation qui en apparence est prometteuse « Nos jeunes apprentis ont déjà du travail » mais une fois les études passées, peu d’entre eux sont reconduits. Ajoutons à cela une conséquence : la disparition progressive des profils confirmés ou séniors dans les structures employant des designers. Et donc une baisse de la qualité intrinsèque du design.
De plus, les écoles d’art et de design publiques se portent de plus en plus mal puisque notre gouvernement assèche – entre autre – la culture et l’éducation et souhaite fermer des écoles d’art et de design (voir cet article). Les étudiants se rapatrieront donc sur les écoles privées qui fleurissent chaque année pour former plusieurs milliers de jeunes designers déjà riches, déjà endettés, ou travaillant à côté pour financer leurs études.
Pas d’avenir pour le design
Y a-t-il encore une place pour le design en France ? Si oui quelle place ? Pour le gros secteur industriel ? Pour le secteur du luxe ? Pour les secteurs de la pub et du marketing ? Est-ce d’ailleurs encore du design que l’on voit dans ces secteurs ? Peut-on être encore designer sans ces qualités là ? Ou faut-il être « designer-star » et briguer les prix de design, les bourses de l’entre-soi, les médailles politiques des Ordres des Arts et des Lettres, ou travailler pour le gouvernement ?
D’ailleurs, l’autre jour je demandais sur Twitter quel était l’avenir pour le design. Certains visent l’artisanat et / ou la précarité. Pour le premier point, je n’en sais rien, pour le second, je le constate.
Alors on arrête tout et on recommence ?
C’est la question que l’on peut se poser. Vous qui êtes designer et qui me lisez, si vous deviez recommencer votre parcours de designer à zéro, auriez-vous quand même fait ce métier ? Auriez-vous changé de profession ? Si demain un jeune vous demande des conseils pour devenir designer, lui conseilleriez-vous de s’engager corps et âme dans cette profession ? Enfin, pour celles et ceux qui ne s’en sortent plus… quels métiers de reconversion envisagez-vous ?
Autant de questions qui se posent. Évidemment, certains designers en France s’en sortent encore très bien j’imagine. D’autres sont en plein dans les difficultés, d’autres encore sentent peut-être le vent du design s’éteindre doucement. Ce métier de designer comme on l’a connu est-il terminé ? Quelle sera la suite si ce métier ne permet plus d’en vivre pour la plupart des designers ?
Pour les designers qui s’en sortent ou qui traversent ces difficultés, tenez bon, parlez entre vous, essayez de trouver des solutions collectives. Pour ceux qui changent, qui partent volontairement ou non, n’hésitez pas à partager aussi vos expériences et vos questionnements.
Enfin, si c’est bien une fin du design qui se dessine en ce moment, il laissera peut-être de la place à de nouvelles formes de design. Il nous restera à savoir lesquelles.
Hello! Très intéressant ton article. Concernant les « vieux » graphistes/designers aussi (haha j’en suis😅), le constat est sensiblement le même. Il y a comme un désintérêt des clients pour le design mais également la croyance qu’avec tous les outils à dispo (Canva et autres Design Wizard), on peut se passer d’un designer et tout faire sois-même. Après tout, pourquoi payer pour quelque chose que l’on peut faire (ou faire faire) en interne. Le constat c’est que ces réalisations souvent mal équilibrées ou bof bof suffisent et tirent la qualité vers le bas. On se contente d’à peu près et on ne mesure pas/plus les bénéfices réels que peut apporter un design bien pensé, bien conçu. Sans compter l’énergie que nous designers devons déployer pour faire comprendre cela aux clients. Et last but not least, vendre un bon design au juste prix (2 ans que je n’ai pas augmenté mon tarif horaire) 🥳
Personnellement je pense que le design de manière générale sera de plus en plus qualifié comme un service haut de gamme.
Et seul ceux qui priorisent les besoins de leurs clients continuerons à en vivre…
Juste pour nuancer sur le déclin du design thinking, je vois ça d’un bon œil, il n’y a pas de production créative, c’est une méthode de conception industrielle ou marketing héritée des méthodes des designers. Les designers eux même en étaient souvent plutôt animateurs, voire carrément absents (sans parler de ceux qui s’étaient spécialisés là dedans, grave erreur à mon sens).
Pour le reste, je reconnais toutes les situations que j’ai pu vivre ou rencontrer dan ma carrière, je partage le sentiment général de l’article.
Il y a 20 ans je me demandais déjà si on était pas trop nombreux pour la demande, alors si en plus des écoles plus ou moins sérieuses florissent partout les jeunes postulants vont au devant de longues difficultés.
Je suis toujours blasé de voir que les gens sortent d’un bilan de compétence avec le conseil de se reconvertir dans le design. C’est un métier de vocation, il faut être capable de manger de la vache maigre un moment et s’y épanouir quand-même.
Et comme pour tous les métiers de passion, l’économie s’est mis en ordre de marché pour en profiter un maximum et lessiver les plus corvéables.
Je connais plein de graphistes qui ont arrêté, moi même j’ai failli plusieurs fois. Franchement la plupart du temps, à part avoir de la chance, ça vaut pas le coup de se cramer pour ça. Il vaut mieux garder sa créativité et son énergie pour autre chose.
Une dernière couche sur la chance : je ne crois pas au mérite, même dans l’art. On bénéficie soit d’un coup de bol, soit de l’entre soi du métier, soit on passe devant ceux qui n’ont pas les codes. Il faut forcer sa chance mais ça peut ne jamais arriver.
Courage à tous !
C’est une réflexion fascinante sur l’avenir du design. En attendant, plongez dans Pokerogue et Pokerogue Dex pour une expérience immersive où la créativité et la stratégie s’entrelacent, offrant un contraste rafraîchissant avec les débats professionnels !
Je suis opérateur PAO de formation, graphiste/chargée de com : 17 ans d’expérience
J’ai appris sur le tas le métier de chargée de communication avec mon poste actuel. Je suis dans une bonne entreprise, enfin ça, c’était avant, jusqu’à ce que mon chef parte à la retraite.
Avant : j’étais seule, du boulot pour 2, totale autonomie (10 ans comme ça)
Depuis presque 2 ans c’est l’enfer.
Recrutement en interne, 2 personnes pas du métier qui font les docs, mise en page grossière, pas équilibrée, couleurs pas harmonieuse… Sensation d’être mise au placard car service agrandi dans un autre département.
Burn-out en juillet 2023.
Depuis je survie à mon poste, quasi 2 ans que je cherche ailleurs mais je ne trouve pas.
1/ les postes sont rares
4/ si un poste, 100/150 Cv dessus
2/ ils ne veulent pas payer
3/ que des postes d’alternants ou service civique
Je discute avec mes fournisseurs qui me racontent que eux aussi c’est compliqué, les carnets de commandes sont maigres, les entreprises se mettent en mode disette.
Les gens ne font plus attention à l’esthétique, la technique…
Et nouvelle mode sur les offres d’emplois : maitrise de Canva… pour un graphiste pro… désespoir…
Et les écoles privées qui forment de plus en plus, dans mon agglo, 200 élèves sortent avec un diplôme type bachelor/master avec au moins « com » dans la désignation de la formation.
Pourquoi continuer à former si il n’y a plus de débouchés ? Tant qu’ils remplissent leurs écoles, ils sont contents, ils font du chiffre.
J’ai fait un bilan de compétence l’an dernier, je vais reprendre les enquêtes métiers, j’en arrive à un point où je suis dégoutée.