Rares sont les fois où je vous témoigne des passages de mon travail mais cette fois-ci je voulais vous partager l’expérience d’une petite histoire qui m’est arrivée avant l’été et dont le dénouement s’et passé fin août. Ce témoignage, je l’ai intitulé : « Comment j’ai presque réussi à travailler pour l’État ».

Designer d’intérêt général ou pas ?

Depuis quelques années, l’État a mis en place un programme intitulé « Designers d’Intérêt Général », permettant ainsi à des designers de rejoindre les rangs des gens qui œuvrent pour des services et projets concrets à destination des citoyens. L’idée est chouette, très bien payée (4000€/mois), et les thématiques sont globalement intéressantes. Je connais même plusieurs personnes qui ont bossé là-bas.

Si vous me suivez un peu ici et là, vous connaissez aussi mon opinion du gouvernement actuel en France et de ces intérêts politiques généralement à l’opposé des intérêts des citoyens. J’ai souvent tendance à exprimer mon mécontentement de façon publique face à tout cela. Oui, j’suis un ouf moi 😉 Bref, en tant que designer cherchant toujours à œuvrer pour des projets sociaux, utiles, engagés, il y a quelques mois j’ai posé la question sur Twitter pour savoir ce que les gens pensaient sur le fait de rejoindre un tel programme. On m’a fait comprendre que de travailler pour ces différents projets c’était travailler pour les citoyens, pas pour les politiques ou le gouvernement, que c’était génial, qu’il fallait absolument le faire (d’autres m’ont dit que c’était rejoindre le côté obscur de la force). Avec mes opinions politiques, je me suis naïvement dit que si je postulais, j’allais de toute façon être recalé malgré mes compétences en design. Ce jour là j’ai même échangé avec un des conseillers du Président et du Premier ministre qui m’a invité à ne pas hésiter à postuler. Soit !

Tentative #1

Alors, je me suis dit que j’allais tenter, je suis designer indépendant depuis 16 ans maintenant, je m’y connais un peu en enquête de terrain ethnographique et en design de prototype, ça devrait le faire. Je m’y suis pris pendant deux journées, car il faut choisir les thématiques sur lesquelles postuler, il faut beaucoup écrire et bien écrire, raconter son expérience, expliquer pourquoi on choisit tel ou tel sujet, présenter son parcours, préparer un portfolio en PDF, un CV, présenter ses références, raconter des expériences qu’on a eu en lien avec le service public en tant que citoyen et en faire une critique, etc. Bref, un vrai bon dossier à remplir. J’ai même apprécier le remplir, ça fait un bon bilan de sa carrière professionnelle.

Puis, hop, j’ai cliqué sur le bouton et je me suis dit « on verra ».

Échec #1

Au final, quelques semaines plus tard, j’apprenais par mail que ma candidature n’était pas retenue. Je m’y attendais, je ne vous le cache pas. J’ai donc demandé à en savoir plus afin de connaître la raison (pas assez d’expérience, pas assez de références, etc.) et non, au contraire, ils étaient très enthousiastes d’avoir vu mon nom dans les différents dossiers qu’ils avaient reçus, j’avais bien les compétences requises et je pouvais faire l’affaire. Mais voilà, pour travailler sur ce programme – qui est à destination de tous les citoyens – il faut habiter à Paris / proche banlieue. Bah oui. Et ça n’était pas précisé. Bah non. Et j’habite Lyon, pas non plus le plus petit village de France. Bon, tout ça pour ça, tant pis, ça m’apprendra à avoir quitté l’Ile-de-France #JeSuisPécore

Tentative #2

Cependant, je n’avais pas dit mon dernier mot. En effet, quelques jours plus tard, je me tourne vers un programme similaire : le Commando UX. Là c’est plus court : une mission de 4 mois, toujours bien payé (3500€/mois), et avec là encore parmi toutes les thématiques : une sur laquelle j’espère pouvoir œuvrer à savoir : l’accompagnement des agriculteurs dans leurs démarches numériques et la déclaration des ruches (ça tombe bien je suis me formé à l’apiculture il y a 2 ans et je connais plutôt bien le sujet agriculteurs / environnement & numérique). Je leur re-re-précise bien que j’habite à Lyon, je re-re-demande si je peux télétravailler : oui oui. J’envoie mon dossier de candidature tout aussi costaud à remplir que le précédent et je reçois un mail quelques jours plus tard me demandant s’il est possible de faire un entretien d’embauche en visio. C’est parti, on parle pendant une heure, l’équipe est très sympathique, je réponds aux questions, j’en pose, tout se passe bien. Quelques jours plus tard, Ô joie, je suis sélectionné, je commence en septembre ! Là, commence l’inscription sur le Slack, la valse des papiers (carte vitale, carte d’identité, les statuts de ma boîte, mon siret, une photo d’identité, mon diplôme, fiche de renseignements personnels, etc.), j’envoie tout, tout est OK. J’apprend que sera un CDD, pourquoi pas, je peux aussi être en freelance et facturer de façon plus simple, ça m’est égal. Je commence en parallèle à faire mes recherches sur le sujet, à me dégager les 4 mois pour être à temps plein évidemment.

Échec #2

Mais. Car oui, il y a un mais, l’administration de l’État, pour établir mon contrat, me demande de mettre en sommeil ma société pour être bien sûr que je ne vais pas travailler en même temps que je suis sous contrat avec eux. Aucun souci, je ne comptais pas travailler 46 heures par jour, surtout qu’avec 3500€ par mois, ça n’a aucun intérêt. Car oui, je ne suis pas au chômage ni en CDD / CDI, j’ai une entreprise (SASU) dans laquelle je suis tout seul. Ainsi, mettre en sommeil ma société signifierait : dépenser de l’argent pour ce faire, geler totalement son exploitation, ne plus facturer (car oui, j’ai des clients que je facture en plusieurs fois jusqu’à 2 ou 3 mois après le travail terminé), résilier le bail commercial de mon entreprise également et donc j’aurais dû trouver un nouveau local pour mon entreprise et faire un déménagement, inscrire une modification de mon entreprise auprès du Registre du Commerce, inscrire mon entreprise au Bulletin Officiel des annonces civiles et commerciales, écrire un avis au journal d’annonces légales. Toutes ces procédures sont bien évidemment payantes.

Vous comprendrez vite que même avec une furieuse envie de travailler sur ce projet d’intérêt général, je ne peux pas torpiller mon propre vaisseau à savoir : mon entreprise. On a cherché comment faire autrement avec une personne de l’équipe mais même si tout était au vert, pour un justificatif, ça ne l’a pas fait. Tant pis, une fois de plus. Ça y était presque.

L’administration, toujours plus forte que le design.

Voilà la fin de ce témoignage. Au final j’imagine que c’est dommage pour tout le monde car moi comme eux voulions travailler ensemble. Je comprends également l’intention de cette demande mais qui en réalité était une demande impossible.

Enfin, je voulais vous témoigner de ce jour où j’ai « presque réussi à travailler pour l’État » en espérant que ceux qui sont tentés par l’expérience d’être designer pour l’État arriveront à l’être, pour ma part, je passe mon tour, j’ai listé les mois à venir, je ne m’ennuierai pas. J’en profite aussi pour remercier les différents interlocuteurs de ce drôle parcours, ils ont été très pro et très à l’écoute.




8 commentaires

  1. Bon, alors en vrai, moi j’y bosse dans l’administration, et on emploie des designers. On a eu des stagiaires en design de service dans ma structure, on a bénéficié de DUX un peu partout (à Paris, Lyon et Clermont-Ferrand ). Mais on a aussi et surtout des marchés de design de service (à Aix-en-Provence, Grenoble, en Martinique et à Paris aussi, sans compter les enquêtes terrain qui peuvent se faire à Saint-Omer ou Orléans pour ne parler que des projets dans lesquelles j’ai été impliquée personnellement), avec des détenteurs multiples (avec un système de guichet qui répartit équitablement les budgets sur l’année). Et là, ça se fait dans le cadre de boîtes (dont coopaname qui porte des valeurs pas si éloignées de ce que je peux ressentir ici). Bref, raté 2 fois… mais ptet pas 3 !

  2. « Ce jour là j’ai même échangé avec un des conseillers du Président et du Premier ministre qui m’a dit de postuler. »

    Vous rendez-vous compte que cette phrase suffit à laisser penser que vous vous attendiez à ce que postuler ne soit qu’une formalité, que le contrat devait vous tomber tout cuit dans le bec ?

    1. Vous interprétez mon propos de travers — vous dites « tout cuit dans le bec » alors que j’écris que je n’y crois pas réellement, que j’hésite, que je vais tenter, qu’on verra bien. Alors pour vous, rien que pour vous, j’ai modifié la phrase en écrivant « qui m’a invité à ne pas hésiter à postuler », en espérant que ça soit plus doux à vos oreilles 🙂

  3. Bonjour Geoffrey,
    Merci pour le partage d’expérience. Je voulais, idéalement j’aimerais bien.
    Diplômée de sciences politiques et en cours d’obtention d’un diplôme en design social, je suis friande de ce genres d’initiatives.
    Entrepreneure aussi depuis 4 ans, je n’ai pas tenté de postuler parce que je ne suis pas sûre d’avoir assez d’expérience et retourner à la fac dernièrement m’a fait réduire l’activité de moitié. Aussi, je lance un nouveau projet. Mais je crois que cette histoire d’Île-de-France m’aurait ulcérée : je suis à Nîmes et en Guyane où je suis née et où j’ai ma société.
    Pour ton expérience pour Commondo UX (félicitations tt de mm) j’avoue que je ne comprends pas trop l’intention pour ma part. S’il s’agissait d’un contrat d’un an ou plus, pourquoi pas (et encore…). Mais pour quatre mois autant de démarches 🤔. Je ne suis pas sûre que ça vaille le coup. Par ailleurs, trouve assez rude de demander ce geste à un entrepreneur quand ce n’est pas toujours évident de maintenir une activité indépendante…
    En tout cas, je suis bienheureuse d’avoir lu ton retour d’expérience. Je pense que l’exigence de résidence en Île-de-France est discriminante pour les autres territoires, ça perpétue la France de « Paris et le désert Français » (Gravier) et ce n’est pas vraiment en accord avec certaines valeurs du design actuel. Ce n’est pas normal. En plus je pensais motiver mes partenaires institutionnels de Guyane pour proposer des projets pour le programme, mais bon…

    Bonne journée 👋🏾

    1. Chère Élodie 🙂

      Merci pour ton message plein d’enthousiasme et d’intérêt ! Oui, la situation géographique n’est pas un point fort, mais ils m’ont dit que ça allait peut-être changer. Pour l’entrepreneuriat, je comprends ta surprise, surtout si ta boîte est en Guyane. Bref, toujours est-il que si tu souhaites qu’on collabore sur des projets à l’occasion, je ne fais aucune discrimination géographique ! 😉

      Au plaisir de te lire,

      Geoffrey

      1. Geoffrey,
        Eh oui ! Je suis convaincue que le design peut largement contribuer à apporter des réponses aux problématiques guyanaises et la collaboration avec différents acteurs d’ici et d’ailleurs est vraiment essentielle.


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