Hier, j’ai reçu une question intéressante en message privé sur Twitter. Cette question reflète un sujet profond pour moi et je voulais vous témoigner de cela. Ce sujet c’est celui des conséquences de l’engagement en tant que designer. La question était en substance :
« Salut Geoffrey ! Je me demandais si tes prises de positions sur Jaffiche.fr ou tes projets personnels ne te portaient pas préjudice lors de contrat ou de recherche de boulot… Je me suis demandé cela parce que j’avais vu que tu postes parfois sur LinkedIn (qui est carrément turbo droite, à fond greenwaching, etc.) et je sais que dès que l’on sort un peu des rangs capitalistes tu es un peu mis a l’écart ».
Ma réponse a été la suivante :
« Oui, complètement. Depuis bientôt 10 ans où j’essaye de m’affirmer personnellement et professionnellement sur le même plan politique (quand je prends une position personnelle ou professionnelle de façon publique) j’ai ressenti clairement une diminution de clients.. enfin… de certains types de clients (startups, grosses entreprises capitalistes, entreprises technologiques, bullshit jobs, etc.). J’ai accompagné cette démarche volontaire avec une décroissance personnelle et professionnelle, un changement dans mon blog, dans mes conférences, dans mes projets personnels ainsi qu’une diminution drastique de mon salaire tout en développant de plus en plus mes projets personnels de design pour continuer de créer, d’avancer dans mes idées et idéaux.. »
C’est quoi ton astuce pour perdre des clients ?
C’est évidemment la question que tout le monde se pose, j’en suis sûr 😉 Parce que oui, je sais que je peux m’exposer à « perdre des clients potentiels » quand :
— Sur mon site Design & Human, où je présente mes projets, je précise que « Je refuse toute proposition de projets allant à l’encontre de ces valeurs. » (à savoir l’utilité publique, sociale, environnementale…).
— Quand je crée ce générateur de propositions d’œuvres culturelles pour répondre au Pass Culture mis en place par le gouvernement. Ce générateur propose un regard critique sur nos politiques et notre gouvernement bien évidemment.
— Quand, via mon site Jaffiche.fr, je souligne graphiquement les violences policières, la pollution de Total, les actions violentes du gouvernement, l’importance d’une charte des journalistes, l’importance des lanceurs d’alerte, la montée de l’extrême droite en France, la violence sociale d’Amazon, etc.
— Quand, avec notre podcast Hackstock (avec Jérémie), on dénonce la société de surveillance, le totalitarisme et le capitalisme de surveillance, quand on critique Google, Amazon et toutes les startups qui vont en ce sens…
— Quand on m’invite à faire la leçon inaugurale dans une grande école de design et que j’essaye de parler aux étudiants de façon franche…
— Quand je refuse tout simplement de bosser pour des clients dont les actions concrètes vont à l’encontre de ce pour quoi je bosse, me bats et fais des efforts au quotidien.
— J’en passe.
Et le positif dans tout ça ?
Alors évidemment, ces actions peuvent être considérées par certains comme une façon de me « griller professionnellement », de froisser de potentiels clients qui n’auraient pas les mêmes sensibilités que moi… Mais évidemment, cela s’accompagne de ma part d’une volonté cohérente de :
- filtrer en amont les structures avec lesquelles je travaille / je ne souhaite pas travailler
- m’obliger à faire toujours du bon travail, de qualité pour honorer les gens qui s’engagent à me faire travailler
- me forcer à continuer de diminuer mes besoins (moins de besoins : moins d’argent : moins de stress pour essayer de trouver des clients : plus de liberté pour œuvrer à mes propres projets)
- faire de mon mieux pour être cohérent avec mes idéaux et mon travail (parce que ça n’est pas facile, c’est une démarche volontaire)
- me sentir libre
T’es pas un peu un ouf de faire ça ?!
Oui mais non. Sachez qu’en réalité quand j’ai commencé à penser à tout ça il y a des années, ça m’a fait peur : « Et si je n’avais plus jamais de travail ? » « Comment vais-je payer mon loyer ? » « Comment vais-je m’épanouir ? », etc. Mais comme je l’explique plus haut et comme vous l’avez sûrement lu sur mon blog : mon métier de designer n’est pas qu’un métier pour moi, c’est une démarche, une approche au monde et ça me permet aussi de faire exister mes idées et mes idéaux. Ainsi, quand on me dit que je peux « perdre des clients » en prenant position et en affirmant que non, je ne bosse pas pour le capitalisme de l’attention, pour des exploitants d’humains, pour des régies publicitaires, pour vanter la course à la technologie, pour des entreprises qui tuent – littéralement – des espèces animales ou végétales, etc. je me dis que c’est peut-être aussi une façon de me rapprocher de celles et ceux qui ont le même souhait que moi et qui sait, échanger, et travailler ensemble ?
Au final, quand je vous témoigne de tout cela, je me rend compte que ça n’est pas un modèle uniforme à suivre mais plutôt une suite de choix, de décisions, d’engagements, de lectures, de réflexion et surtout d’actions personnelles. Pour conclure ce témoignage, je suis tellement soulagé de fermer certaines portes professionnelles que je vois comme des impasses, comme de la perte de temps (même si elles m’auraient fait gagner de l’argent) et à la place, construire moi-même les portes par lesquelles je veux passer ou par lesquelles inviter des personnes pour échanger, pour imaginer et pour œuvrer ensemble.
Ceux qui vivent sont ceux qui luttent disait Victor Hugo.
Parfois c’est frustrant. On ronge son frein. On trépigne. Mais le message porte c’est si bon.
Là est le vrai courage.
Bravo Geoffrey !
http://blog.thephase3.fr/search/label/NOTAV
Très belle citation, content de savoir que tu passes là 🙂
Merci pour ce texte encourageant sur votre expérience. Très inspirant. Pourrions nous bâtir une société et un monde professionnel qui assume sa politisation ?
Bonne chance dans cette direction saine !